Nous, êtres humains, sommes capable de penser le monde, autrui, et nous-même. Nous avons la conscience de nos actes, de nos émotions, de nos ressentis et de nos pensées.
Pour autant, sommes-nous toujours conscients ? N’y-a-t-il pas des instants de notre vie qui nous échappent ? Avons-nous réellement conscience de tout ? Nos choix sont-ils véritablement le fruit d’une décision volontaire ? Autrement dit, n’existe-t-il pas quelque chose hors du champ de notre conscience, un état non-conscient et par conséquent inconscient, qui nous accompagne, nous influence, voire nous gouverne ?
Je vous invite donc à me suivre dans cette exploration des profondeurs de l’esprit, à la découverte de ce continent caché au coeur de vous-même, votre Inconscient.
L'inconscient au fil du temps
Les premiers philosophes à s’être interrogés sur la forme et la constitution de l’esprit, sans pour autant s’attarder sur les mécanismes psychologiques inhérents, sont Pythagore (VIe siècle av. JC) et Platon (Ve siècle av. JC).
Ils proposaient un schéma de l’âme mortelle en trois strates :
1- biologique : Epithumia « l’appétit », le niveau désirant, les envies inférieures comme la faim, la soif , etc.
2- émotionnelle : Thumos « la colère », la partie irascible, le niveau agressif, les passions
3- mentale : Logistikon « le raisonnable », la partie rationnelle, le niveau divin, la pensée, qui seule est immortelle
Il faudra attendre le XVIIIe siècle, et le philosophe-mathématicien, Leibniz pour que cette notion d’inconscient au sens d’esprit non-conscient, commence à être élaborée.
Leibniz et les « petites perceptions »
Dans ses Nouveaux essais sur l’entendement (rédigé en 1704), Leibniz propose la théorie des « petites perceptions », théorie philosophique digne héritière de ces travaux mathématiques sur le calcul différentiel et intégral (lui-même développé en 1684).
Pour Leibniz, l’univers est constitué d’objets infiniment petits, et chaque objet que nous percevons n’est, selon lui, en réalité rien d’autre que la somme de ces éléments infinitésimaux.
En partant de ce principe, il explique que notre esprit est constitué d’une infinité d’idées et de perceptions, et que la majeure partie de celles-ci ne sont pas, selon ses termes, « aperçues » par nous, autrement dit, conscientisées.
En effet nous sommes en permanence sollicités par notre environnement : les bruits qui en émanent, les images du décor que nous captons, les odeurs, les goûts et les ressentis qui nous imprègnent.
Leibniz élabore ainsi la possibilité qu’une partie de ces perceptions nous échappent parce qu’elles sont :
- Trop petites (exemple des ultrasons)
- Trop nombreuses (les différents instruments dans une symphonie)
- Trop unies (comme les différentes épices dans un plat)
- Trop habituelles (je ne fais plus attention au bruit du train quand je vis au bord d’une voie ferrée)
Le philosophe choisit l’exemple du bruit des vagues se brisant sur la falaise, pour illustrer sa réflexion.
Qu’est-ce qui nous permet d’entendre un tel bruit ? Pour que cela soit possible, « il faut bien », écrit Leibniz, « qu’on entende les parties qui composent ce tout, c’est-à-dire le bruit de chaque vague ». Si nous ne « percevions » pas le bruit de chaque vaguelette, comment pourrions-nous entendre le bruit émis par l’ensemble de ces minuscules vagues ? Car « cent mille riens ne sauraient faire quelque chose ».
C’est donc la perception du bruit individuel d’une infinité de vaguelettes qui permet à l’être humain de prendre conscience du bruit de la vague dans son ensemble.
Ainsi pour Leibniz, c’est la somme de toutes ces perceptions infinitésimales et non-conscientes qui provoque la perception consciente de l’ensemble.
Nous voici donc avec une première ébauche de l’inconscient, comme partie de l’esprit contenant toutes ces perceptions infinitésimales et non-conscientes de notre environnement.
Naissance du terme "Inconscient"
C’est le philosophe Von Hartmann à la fin du XIXe siècle, qui le premier utilise le terme Inconscient pour définir l’ensemble des mécanismes non-conscients de la psyché humaine.
Dans son livre Philosophie de l’Inconscient il défend l’idée que l’Inconscient préside à toute activité consciente et qu’il serait ainsi le siège :
- de l’instinct primaire
- des fonctions biologiques
- de l’inspiration artistique.
Son contemporain, Nietzsche, lui, a l’intuition d’un soi invisible, un « maître plus puissant que le moi » – qui est le guide qu’il nous faut écouter, car l’esprit conscient est un « état personnel imparfait ».
L'apport de Freud
Freud, neurologue autrichien, formé à l’hypnose à Paris, auprès de Charcot, éminent neurologue français, utilisera abondamment cet outil pour décoder et comprendre les causes de l’hystérie. C’est dans les années 1890, après avoir étudiés de nombreux patients hystériques qu’il fera évoluer la notion d’Inconscient.
Il le définit comme étant une partie de nous-mêmes, ou plus exactement une strate de notre esprit contenant une foule de souvenirs, de fantasmes, de désirs inavouables, à laquelle nous n’avons pas accès.
Il nommera ce processus de mise à l’index psychique : le refoulement.
L’inconscient est donc pour lui, une sorte de sous-sol de notre vie mentale où se retrouve stocké tout ce qui heurte notre conscience (pulsions, traumatismes, souvenirs douloureux, etc).
Parce que l’hypnose ne permettait pas, selon lui, au patient d’être maître de sa guérison (il ne connaissait pas l’hypnose humaniste, ça doit être pour ça 😉), il l’abandonnera progressivement au profit de sa propre méthode de soin : la psychanalyse.
L'Inconscient collectif de Jung
C’est au début du XXe siècle, en étudiant des patients schizophrènes que Jung, psychiatre suisse, élabore une théorie de l’inconscient qui transcende les limites de l’individualité.
Au cours de ses recherches, il s’est, en effet, rendu compte que les délires de ces patients se ressemblaient, qu’ils avaient des schémas de comportement communs et faisaient appel à des références mythologiques qu’ils n’avaient jamais apprises, comme s’ils portaient en eux cette connaissance.
Il rapprocha sa découverte des caractéristiques physique de l’humain qui dès la conception reçoit un patrimoine génétique individuel, propre à sa lignée familiale (couleurs des yeux, taille, forme du visage, etc.), mais également un patrimoine plus global, propre à l’espèce (2 pieds, 2 mains, 2 poumons, etc.)
Jung estima qu’il en était de même des caractéristiques psychiques : une part individuelle issue de nos expériences de vie et de notre environnement direct et une autre plus large, collective, dont les caractéristiques sont indépendantes de la culture ou de l’histoire de la société à laquelle nous appartenons.
En élargissant sa réflexion, il comprit également qu’à toutes les époques de l’Histoire et en tout lieu, les êtres humains faisaient appel aux mêmes modèles élémentaires de représentation du monde, comme si ces modèles étaient inscrits dans la structure même du cerveau.
Ainsi pour Jung, le collectif humain, possède tout comme l’individu lui-même, sa propre dimension psychique inconsciente.
Cet Inconscient « collectif » serait comme une banque de donnée commune, un ensemble de représentations, de croyances, d’idées et d’images, transmises de génération en génération, et chaque individu serait ainsi l’héritier d’une longue chaine de souvenirs inconscients formant la mémoire de l’espèce.
L’Inconscient Collectif est donc constitué :
- d’instincts partagés : instinct de survie, de révolte, de défense du territoire, besoin d’appartenance, etc.
- d’archétypes qui sont les modèles élémentaires de représentation du monde, des contenus communs à tous les individus sans exception, des images archaïques et universelles (le dragon, le héros, le sage, l’enfant, etc.) rencontrées avec une récurrence remarquable dans les rêves, les croyances religieuses, les mythes et les contes et qui façonnent une grande partie des contenus psychiques.
- d’une forme de mémoire de l’espèce accumulée au fil des expériences et des générations (inconscient familial, ethnique ou culturel) et formée :
- de croyances et idéologies ancrées dans le passé et largement partagées comme par exemple « l’argent salit tout », « comédien n’est pas un métier », etc
- d’un imaginaire collectif, qu’on appelle aussi opinion publique et constituant l’ensemble des préjugés populaires – exemple de la vision apocalyptique de la fin du monde ou de l’opinion moyenâgeuse que les guérisseuses étaient des sorcières.
- de stéréotypes : ces opinions toutes faites comme « l’étranger est un parasite » ou « c’était mieux avant ».
L’inconscient collectif infuse notre inconscient individuel comme le thé parfume et colore l’eau qui le reçoit. Il donne le relief à ce que nous sommes, nous inscrit dans l’Histoire, et nous dote de cette dimension mystique chère à l’être humain.
L’inconscient, un super ordinateur
Comme nous l’avons vu plus haut, les capacités de notre esprit conscient sont limitées. Les neurosciences estiment que notre mental ne peut gérer qu’entre 5 et 9 informations simultanées par seconde.
Aussi, comme l’avait bien compris Leibniz, la majeure partie, pour ne pas dire la quasi totalité, des informations lui échappe. Si notre esprit conscient est ainsi limité, ce ne peut donc pas être lui qui régule notre biologie, gère les sollicitations extérieures et prend les décisions. C’est donc forcément cette autre part de nous, secrète et cachée qui est aux commandes.
Notre inconscient est donc comme un ordinateur surpuissant programmé pour assurer notre survie.
- Il régule et coordonne les fonctions biologiques: température du corps, circulation sanguine, rythme cardiaque, respiration, etc.
- Il enregistre en permanence tout ce que nos sens perçoivent.
- Il stocke toutes ces informations issues de nos expériences bonnes ou moins bonnes (souvenirs, apprentissages, croyances)
- Il en tire des conclusions pour créer de nouveaux apprentissages (faire du vélo, marcher, lire, passer les vitesses en voiture, rester loin du vide, etc.)
Chaque fois que nous agissons, pensons, parlons, sans plus y faire attention, c’est que l’apprentissage est acquis et qu’il a basculé en mode inconscient (mode pilote automatique). - Il nous protège en mettant à l’écart les événements traumatisants (processus de refoulement de Freud)
- Il archive toutes les informations devenues inutiles ou obsolètes.
Exemple d’apprentissage lié à l’Inconscient individuel
Si je me suis brûlé la main enfant, je serai maintenant très prudent en approchant du feu, j’en aurai peut-être même très peur. Une part de moi se souvient et me protège : la peur m’empêchant de reproduire « l’erreur » initiale.
Exemple d’apprentissage lié à l’Inconscient collectif (ici familial)
Si dans ma lignée un aïeul a perdu toute sa fortune en jouant en bourse, je pourrais avoir très peur de me « lancer » dans une vie de couple, dans une nouvelle carrière professionnelle, etc. J’aurais des réticences à changer, même si la situation m’est inconfortable car j’aurais le sentiment qu’il y a un « risque » de perdre ce que je possède déjà.
Selon la situation vécue, l’inconscient va donc sélectionner, dans cette « mémoire » du passé, les informations les plus pertinentes pour nous proposer les meilleurs choix possibles. Ces milliers d’opérations inconscientes qui nous échappent, génèrent en nous de nouvelles pensées, émotions et comportements.
Nous sommes ainsi « pilotés » de l’intérieur sans forcément nous en rendre compte. Et notre super ordinateur, inlassablement, nous proposera la même réponse à chaque nouvelle situation qu’il évaluera comme similaire à celle d’origine.
C’est pourquoi, nous pouvons nous retrouver à agir de manière complètement irrationnelle à une situation pourtant analysée comme sans danger.
Si lorsque j’avais 2 ans, un gros chien, a couru vers moi en aboyant, je peux à 30 ans, malgré mes 120 kg et mon 1,80 m avoir une peur bleue d’un petit yorkshire qui jappe. Rationnellement cela n’a pas de sens, le danger n’existe pas et pourtant je suis terrorisé.
Mais ce fonctionnement répétitif a souvent du bon, puisque c’est ce qui nous permet d’automatiser de nombreuses tâches. Au quotidien cela nous facilite grandement la vie!
Aujourd’hui nous marchons, écrivons, lisons, et faisons plein d’autres choses… facilement, parce que toutes ces opérations parfaitement automatisées ne nécessitent plus aucun effort conscient de notre part.
L'Inconscient en bref
- L’Inconscient est propre à chaque être humain.
- Il est distinct du conscient (appelé aussi le mental) et représente 95-97% de notre fonctionnement global. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, peu de place est laissée aux décisions conscientes (3-5% seulement).
On peut ainsi dire que nous passons la majeure partie de notre temps en pilote automatique ! - Il est capable de traiter beaucoup plus d’informations que le conscient et réagit aussi plus vite.
- Il prend en charge simultanément un très grand nombre de tâches complexes et variées (respiration, battements du cœur, conduite automobile, rêves, etc).
- Il est réactif: ne réagit que si on lui demande (que ce soit l’esprit conscient, l’environnement, une tierce personne, etc.) et n’a pas d’initiative propre.
Un peu comme une ampoule, qui ne s’allumera que si nous manoeuvrons l’interrupteur. - Il a un mode de fonctionnement simple comme un animal ou un jeune enfant.
Il est littéral, ne comprend pas la négation ni les structures grammaticales complexes. (Ne pensez pas à un lapin rose 😉) - Il est toujours présent et on peut l’observer, chez l’autre notamment à travers son langage non verbal (clignements des paupières, contractions du visage, rougissement, augmentation ou diminution du rythme de la respiration, etc)
- Il est créatif et est capable de fabriquer des ressources ou des souvenirs si on lui demande et qu’il ne les possède pas.
Il n’est donc pas judicieux de chercher à retrouver des souvenirs surtout si vous avez une idée précise de ce que vous cherchez (par ex. « ai-je été abusée lors de cette soirée ? ») car il trouvera quelque chose et vous ne pourrez jamais savoir si ce souvenir est bien réel ou juste imaginé.
Comment savoir si mon problème est inconscient ?
- Chaque fois que « j’voudrais bien mais j’peux point » (comme le chantait Annie Cordy) ou pour le dire autrement chaque fois qu’un de mes comportements est « plus fort que moi ».
Par exemple, je veux arrêter de fumer mais je continue d’allumer les cigarettes, j’ai des fringales le soir alors que je viens de manger, etc. - Je suis débordé par mes émotions (je pleure pour un rien, je me mets en colère sans raison, j’ai des peurs irrationnelles ou des angoisses, je n’ai plus envie de rien, etc.)
- Je pense sans arrêt à un événement du passé ou à quelqu’un (qui n’est plus, dont je suis séparé ou qui m’a fait du mal) et je n’arrive pas à profiter de ma vie présente.
- Je suis au prise avec un dilemme, je me sens comme coupé en deux : une part de moi veut suivre une direction et une seconde s’y oppose ou veut prendre un autre chemin.
- Je me sens bloqué sans vraiment identifier la raison (envie de quitter mon conjoint/mon boulot mais incapable de prendre la décision, etc.)
- Je rencontre tout le temps les mêmes types de personnes (hommes/femmes violents, manipulateurs, jaloux, etc.) ou je me retrouve régulièrement dans les mêmes situations (on me rejette, je n’arrive pas à garder mon job, etc.)
- Je reproduis ou subis les mêmes schémas de vie que ma lignée (inceste, enfant mal-aimé, maltraitance, dépression, etc.)
Si vous reconnaissez dans l’un de ces cas, alors il est vain de vouloir régler le problème avec votre mental, c’est à dire en essayant de comprendre d’où ça vient, pourquoi ça vous arrive à vous, ou en vous appuyant sur votre seule motivation ou encore de vous faire violence.
Vous l’aurez compris, il ne suffit pas de vouloir que ça change pour que ÇA change ! Pourquoi ? Parce que l’origine, la source de tous ces désagréments se situe dans les profondeurs de votre psyché et n’est pas gérée par votre petit esprit conscient.
Dans ces cas-là, inutile de perdre son temps à négocier avec le sous-fifre (le mental), il faut s’adresser au « boss », votre Inconscient.
C’est ce que prônait Milton Erickson, père de l’hypnose moderne et psychiatre de formation. Il a beaucoup étudié et utilisé l’hypnose dans sa pratique clinique et a pu constater que contrairement à ce que pensait Freud, l’inconscient ne se résume pas à la part sombre et inavouable de notre esprit, il est surtout, un réservoir illimité de ressources et de compétences.
L’approche innovante en psychothérapie d’Erickson, repose donc sur la conviction que le patient possède en lui toutes les ressources pour répondre de manière appropriée aux situations qu’il rencontre. L’inconscient étant mû par une intention positive, tous les comportements et réactions qu’il déclenche n’ont qu’un seul but, protéger et garder en vie l’individu. C’est de loin, son meilleur ami !
Parce que l’état hypnotique permet de créer un pont entre le conscient et l’inconscient, c’est LE moyen le plus direct et le plus efficace pour accéder et nettoyer nos mémoires parasites tout en faisant émerger nos ressources et talents cachés.
Conclusion
Notre Inconscient est présent à chaque seconde de notre vie, il préside majoritairement à nos décisions, nos choix de vie, à ce qui est important pour nous. Il oeuvre dans l’ombre, s’appuyant sur notre passé qu’il soit individuel ou collectif, pour créer notre Demain.
Reconnaître son empreinte dans nos difficultés et nos souffrances est le premier pas vers le changement et par extension, vers notre liberté.
« Jusqu’à ce que tu transformes l’inconscient en conscience, l’inconscient dirigera ta vie et tu l’appelleras destin. »
Carl Gustav Jung
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